
qui est Bernard LAHIRE
Bernard Lahire est un sociologue français né à Lyon en Novembre 1963. Il est professeur de sociologie à l’Ecole supérieure de lettres et de sciences humaines, et il est également directeur du Groupe de recherche sur la socialisation. Il mène une théorie sur la réflexion qui nuance les concepts développés par Pierre Bourdieu notamment les notions de champ et d’habitus à travers le concept de « jeu social ». Il est l’auteur de nombreux ouvrages comme « L’homme pluriel » en 1998, « « Portraits sociologiques » en 2002, et « La condition littéraire » en 2006.
C’est dans son ouvrage « la culture des individus » qu’il s’attache à remettre en cause certains aspects de la théorie de Bourdieu.
Si la théorie de l’éclectisme nuance celle de la légitimité culturelle de Bourdieu, celle de Bernard Lahire apporte un éclairage différent.
En effet, Lahire explore la classification des goûts musicaux à partir du prisme de l’individu et non de son appartenance à un groupe social, en revendiquant ainsi une sorte de sociologie de l’individu : la frontière entre la légitimité culturelle (la haute culture) et l’illégitimité culturelle (la sous-culture, le simple divertissement) ne sépare pas seulement les classes, mais partage les différentes pratiques et préférences culturelles des mêmes individus, dans toutes les classes de la société.
Bernard Lahire parle alors de « dissonance » plutôt que « d’éclectisme », c’est à dire de la capacité des individus à faire coexister différentes formes de pratiques musicales et potentiellement contradictoires. En reprenant les statistiques des études menées par Bourdieu, il démontre que la « dissonance » est beaucoup plus fréquente que la « consonance », c’est à dire une homogénéisation des goûts musicaux en fonction de sa catégorie sociale.
Ainsi, une personne agrégée de lettres classiques appartenant à une catégorie sociale supérieure va écouter de temps en temps de la musique classique, mais, par ailleurs, elle n'est jamais allée à l'opéra et n'a jamais vu un concert de musique classique. En matière de musique, elle qualifie ses goûts « d'éclectiques » : elle vient d'acheter l'œuvre entière d'Aznavour, elle écoute Zebda, Doc Gynéco et aime retrouver les tubes des années 1970 sur Radio Nostalgie.
Plusieurs éléments viennent abonder sa théorie :
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La mobilité dans l’espace social : La socialisation de tout individu, à un moment donné de son existence, le dispose à aimer certaines pratiques, mais elle le ferme à d'autres. Les déplacements dans l'espace social (changement de catégorie socio professionnelle par exemple) entraînent des décalages ou de franches oppositions entre la socialisation familiale et la socialisation professionnelle (qui inclut le contact avec les pratiques culturelles du nouveau milieu auquel on accède). Par exemple, 42% des cadres et des professions intellectuelles supérieures (de sexe masculin) sont des fils d'ouvriers, d'agriculteurs, ou d'employés. On comprend que leur rapport à la culture ne sera pas a priori le même que celui des cadres issus du milieu des cadres. L'ancien (la culture des milieux populaires) et le nouveau (la culture du milieu auquel on a réussi à accéder) coexistent.
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L’influence des amis, du conjoint, des enfants. : À l'intérieur d'une même catégorie socioprofessionnelle, les individus vont subir l'influence socialisatrice de leurs conjoints, de leurs amis, et même de leurs enfants. Il en résultera des variations importantes des pratiques culturelles. Au sein d'une même famille, voire au sein d'une même fratrie, les socialisations successives vont voir les individus se différencier, parfois très profondément.
Témoignage de Marc, 40 ans, DESS, directeur d'une grande entreprise, marié à Catherine (épouse dont le milieu d'origine est beaucoup plus élevé que le sien): "Je crois que le changement important pour moi, c'est la rencontre avec Catherine, parce que [auparavant] j'allais quasiment pas au théâtre, j'allais quasiment pas voir des spectacles de danse, donc le changement, c'est ça ».
L'influence des amis démultiplie encore la variété des pratiques: on n'accompagne pas ses amis dans une activité seulement par politesse, mais, aussi, parce qu'ils peuvent nous donner accès à des pratiques plus légitimes que les nôtres (ou, pourquoi pas, moins légitimes: ainsi des personnes interrogées seraient prêtes à assister à un karaoké, si elles en avaient l'occasion).
Enfin, certaines pratiques sont effectuées pour accompagner des enfants ou des petits-enfants, etc.: aller voir un film de Walt Disney, visiter le parc Walibi... Mais les enfants constituent parfois une manière commode de « déculpabiliser » une pratique. Ainsi, Charles, 53 ans, ancien contrôleur de la SNCF devenu cadre de direction, s'est abonné au parc Walibi et reconnaît: "On prend le prétexte de la gamine pour y aller, j'aime bien y aller!"
Lahire parle de « pluri socialisation » : dans des sociétés différenciées, les cadres socialisateurs sont hétérogènes : dans leur milieu professionnel, dans les associations qu'ils fréquentent, et même dans leur famille et au sein de leur couple, les acteurs sociaux sont « confrontés à des individus porteurs de dispositions [à agir et à croire] différentes de celles qu'ils ont préalablement incorporées ».
Cette analyse nouvelle conduit à questionner l'œuvre fondatrice de Bourdieu. Mais il est important de souligner qu’il y a entre Lahire et Bourdieu plus de 20 ans d'écart, période durant laquelle la notion de culture a radicalement changé. A l'époque de Bourdieu, culture était nécessairement synonyme de grande culture, de culture savante. Outre les politiques publiques, la réflexion sociologique sur la culture a profondément évolué. Lahire a donc disposé d'un cadre intellectuel plus propice à l'étude des CSP inférieures sous un angle non marxiste et non élitaire.