
Depuis les années 90, les sociologues Peterson et Simkus, relayés en France par Olivier Donnat (maître d’œuvre des enquêtes des pratiques culturelles des français pour le Ministère de la Culture) font apparaître une tendance qui tempère l’idée que chaque catégorie sociale est représentée par ses goûts musicaux. En effet, ces derniers modèrent l’importance de la légitimité culturelle en montrant notamment que :
1) Les classes supérieures se distinguent pour un penchant particulier pour la musique savante mais aussi pas l’éclectisme de leur goût. Ils sont définis comme « omnivores » car leurs préférences se portent sur des genres musicaux situés hors et dans les champs de la musique savante.
2) C’est parmi les classes populaires que l’on rencontre le plus grand nombre d’amateurs exclusifs d’un seul type de musique.
Ces sociologues expliquent cette évolution par le changement contextuel de l’industrie musicale :
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Une diminution du rôle des arts savants (diminution de la fréquence des salles de spectacles d’opéra et de concerts classiques), donc une perte de symbole dans l’identification sociale des classes supérieures.
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Le développement de l’industrie musicale, notamment dans la distribution et le mode de consommation, favorise une grande diversité des genres musicaux au plus grand nombre.
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L’élargissement des subventions permet le décloisonnement de certains genres musicaux (notamment le jazz) ce qui brouille les frontières entre groupes sociaux et genres musicaux.
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L’avènement de la société de loisirs aurait fait perdre aux élites le monopole des valeurs musicales et permis la pluralité des échelles de jugements.
Ce nouvel éclectisme ne remet pas cependant en cause la notion d’appartenance.
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En effet notre évolution sociétale explique cette montée de l’éclectisme par l’élargissement de la classe sociale supérieure grâce à la croissance économique. Un nouveau groupe issu des classes populaires apparaît : les néo recrutés. Ces derniers adoptent les préférences musicales de leurs nouveaux groupes sociaux supérieurs tout en conservant les goûts musicaux de leur groupe d’origine, ce qui accentue la montée de l’éclectisme des goûts.
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La notion d’appartenance repose aussi sur la stratégie de consommation : les différences sociales s’expriment ainsi dans la diversité des modes d’appropriation des œuvres et des styles : l’exemple le plus flagrant est le jazz : à l’origine, ce genre musical issu de la tradition afro-américaine et lié à la danse, était caractéristique d’une classe sociale populaire. Depuis les années 50, ce style a fait l’objet d’une esthétisation et d’une écoute au sein des milieux intellectuels, qui se différencient radicalement de la classe d’origine du jazz.
D’autres éléments issus d’enquêtes réalisées sur les préférences musicales mettent en évidence d’autres facteurs concernant la stratification sociale des goûts musicaux. Le premier facteur concerne le niveau d’éclectisme c’est a dire le nombre de styles musicaux écoutés. Il existe un lien entre éclectisme et revenus importants qui s’explique ainsi : le consommateur augmente sa satisfaction musicale en diversifiant ses centres d’intérêts. Le niveau d’études élevé de cette catégorie ne se manifeste pas pour un penchant spécifique pour les arts savants, mais plutôt par une capacité d’interprétation et d’assimilation de la nouveauté et de la différence. Cette tolérance esthétique est au cœur du modèle Omnivore/Univore.
Mais la notion d’éclectisme n’est pas absolue et doit, elle aussi, être nuancée : si les classes sociales supérieures ont un fort niveau d’éclectisme, il existe aussi un éclectisme modéré (écoute uniquement de deux genres musicaux), propre notamment aux classes sociales dîtes moyennes et populaires. Il est important de noter que le style musical « variétés » est le dénominateur commun à l’ensemble de ces classes.
Il existe cinq profils de préférences musicales :
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Profil 1 : Ce groupe revoie à l’image de l’éclectisme éclairé, qui écoute principalement de la musique savante et du jazz. Il est représentatif des membres des classes supérieures, ayant un haut niveau de diplôme, des revenus élevés, et plus de 40 ans.
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Profil 2 : Le deuxième profil se caractérise par la diversité des usages fonctionnels de la musique (musique d’ambiance, danse, folklore, film, opérette). Ce groupe ne se différencie pas en termes de revenus des catégories socioprofessionnelles, mais est caractérisé par un âge de plus de 60 ans.
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Profil 3 : Il est dominé par les moins de 25 ans, et ses genres musicaux sont le rock, musique du monde, variété internationale.
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Profil 4 : Il s’agit du profil le plus répandu. Il réunit des groupes qui n’écoutent que des musiques de variétés (Univore). Ce profil est caractéristique des classes populaires.
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Profil 5 : Le cinquième profil est celui qui n’écoute pas de musique. Il est caractérisé davantage par l’âge (60 ans et plus) que par une dimension sociale et économique.
Les profils 1 et 4 renforcent la théorie de Bourdieu concernant la musique savante (marqueur d’appartenance aux classes supérieures), ou la musique de variétés (marqueur d’appartenance aux catégories populaires). Dans ces deux profils, la théorie de Bourdieu persiste.
Cependant l’attribution des goûts musicaux apparaît comme une attitude construite en fonction du niveau d’études, et de revenus et non comme le reflet pur d’un héritage passif, ce qui contredit l’hypothèse de Bourdieu concernant la théorie de l’habitus.